Juste une sorte de politesse

"Étude", peinture de Simon Hantaï : grand tableau tout en largeur de motifs blancs sur un fond bleu
J’ai la chance en ce moment d’aller régulièrement à Orléans pour parler d’architecture à des étudiants. La salle dans laquelle j’interviens se situe au sous-sol du musée des Beaux-arts de la ville. Quand on en sort, on passe nécessairement à l’entrée de la galerie où sont exposées les œuvres modernes et contemporaines. Au fond de la galerie il y a une grande toile de Simon Hantaï : Étude (D.84.2.1).
On la voit depuis l’entrée. On ne voit qu’elle, elle nous appelle.
Lorsque je sors de la salle de conférences à la fin de la séance, je ne peux m’empêcher d’aller vers elle et de rester quelques instants à ses côtés. Peu à peu nous avons appris à nous connaître. Maintenant, à peine je l’aperçois et mon cœur est apaisé. Elle est devenue comme une amie que j’ai plaisir à visiter. Chaque fois je la retrouve et je la reconnais. L’architecte Louis I. Kahn parle de cela à propos de la musique :

« Quand nous entendons les accords d’un chef-d’œuvre musical familier, c’est comme si quelqu’un de familier entrait dans la pièce ».

Quand je vois les accords de l’Étude d’Orléans, j’ai l’impression de rentrer à la maison. Comme un enfant qui ouvre la porte de sa chambre après une longue et pénible journée à l’école et qui retrouve tout son univers.
Cela n’a rien d’une forme de routine, bien au contraire. Chaque fois que je retrouve la toile, je la redécouvre, différente. Un pli, que je n’avais pas remarqué, attire mon attention. Le bleu se révèle plus profond, ou plus lisse. Des lignes se dessinent entre les surfaces blanches et les surfaces colorées, toujours autrement. Le rythme se fait plus calme ou plus soutenu : il évolue déjà dans le temps de notre entrevue.
Je mesure la chance de pouvoir côtoyer ainsi une œuvre régulièrement. Cela n’a rien à voir avec le fait d’aller au musée. Cela me semble un peu plus simple d’entrer en relation avec l’œuvre quand cela s’inscrit ainsi dans le quotidien. On n’attend rien de particulier, on va juste dire bonjour à une amie, comme ça, au passage. Juste une sorte de politesse. Nous pouvons ainsi développer un lien plus réel avec elle et dépasser la sidération, la timidité ou la révérence qui peuvent nous en éloigner.
Il faudrait réussir à aller au musée par politesse, comme s’il s’agissait d’aller rendre visite à un ami que l’on aime bien, et sans s’attendre à vivre quelque chose d’exceptionnel.
Benjamin Couchot
Paris
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