Le cœur a ses raisons que la raison ignore – Carnet d’une pratiquante

Phare-tempête

Ce matin je suis triste, un peu perdue. Je suis plongée tout entière immergée dans la célèbre phrase de Pascal «Le cœur a ses raisons que la raison ignore ».

Assise en méditation, je vis un moment de tiraillement très inconfortable, j’assiste à un combat titanesque entre ma raison rationnelle rationaliste qui du haut de sa tour de glace sait ce qui est juste ! Elle se manifeste par une petite voix ferme et rassurante qui m’indique que je n’ai pas à me plaindre ou à être insatisfaite parce que :

petit a) j’ai une belle vie
petit b) la santé
petit c) un mari loyal
petit d) une famille présente
petit k) des amis à l’écoute
petit m)  une jolie maison
petit y) un travail que j’aime
petit z) la pratique de la méditation et la possibilité d’étudier des enseignements précieux.

En bas de cette jolie addition – comme 2+2 font 4 selon les lois mathématiques – il serait tout à fait normal de voir apparaitre le résultat = Bonheur-complétude-épanouissement-satisfaction.

Et pourtant, sous la lumière claire et pénétrante de la pratique apparaît sur le ring le chalengeur, l’autre titan habillé de rouge – mon cœur – cette sphère vermillon qui hier encore était suspendue paisiblement comme dans un hamac entre deux pans de mon grille costale. Mon cœur est aujourd’hui gros, débordant outrageusement de ma poitrine. Je le sens palpitant dans ma gorge tout en se déversant comme une rivière de lave brûlante sortant de son lit pour s’épandre dans mon ventre. Comme un oiseau en cage – peut-être illusoirement emprisonné – Il étouffe et pleure,  il aimerait aimer davantage, brûler davantage et danser plus encore.

Je suis comme paralysée entre David l’aimant mystique et Goliath le guerrier stratège. Secrètement sans bouger, je fantasme… J’espère découvrir que mon coussin de méditation n’est pas un coussin lambda mais un fax divin duquel sortirait comme par magie un message indiquant la victoire écrasante et sans appel du seul et unique vainqueur de ce combat mythique. Mais lequel ?

Je reviens à la simplicité du présent

La rêverie passée – éclatée comme une bulle de savon – je reviens à la simplicité du présent, au souffle, au corps et à l’environnement qui m’entoure. Il m’apparaît qu’un changement de perspective serait bienvenu. Je comprends que mon rapport binaire à cette expérience en opposant raison et cœur ou pensée rationnelle et émotions engendre une certaine sécheresse expérientielle. À trop vouloir tout mettre dans des cases, je me rends compte que je me coupe d’une partie de la richesse du réel et de l’enseignement instructif donné par une telle situation.


Et si je prenais le large en sortant la tête du seau ? Et si je me foutais la paix en oubliant un instant « les justes réponses » et « les bons choix » pour revenir aux sensations, revenir à l’expérience nue sans projets n’y analyse logique ?

Pour me donner du courage je ferme les yeux quelques instants – il m’apparaît une singulière image -.  Je suis debout sur les berges rocheuses de l’océan, derrière mon dos se trouve nichée sur une colline verdoyante, une petite maison en pierres avec un toit en paille. Il se dégage de ce foyer une chaleur douce, réconfortante et sécurisante.

Devant mes yeux l’océan immense, déchainé et orné d’écume. De l’eau à perte de vue et les Alizés chargés de liberté et de  promesses d’aventures. J’observe, il ne se passe rien, je reste debout sur la rive immobile les bras et le visage ouverts aux vents.

Patience, qu’il en soit ainsi ! 

Cette image évanouie, il me reste le gout salé de la lecture faite à un séminaire d’été par Alexis Lavis (enseignant à L’École de méditation) du poème de Baudelaire « L’appel du large ».


L’appel du large (Les fleurs du Mal)

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers.

Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, cœurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Morgane Dumas Pelège

Rezier, Haute-Savoie

1 commentaire
  1. Anne Dumonteil dit :

    Merci Morgane pour ce témoignage très vif et personnel. ça m’aide beaucoup à entrer moi aussi en rapport avec cet irrationnel de mon coeur.
    Je t’embrasse,
    Anne

    Répondre

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