Un tapis égaré dans l’univers

Tableau de Pablo Picasso représentant une famille de saltimbanques en tenues de scène

Les saltimbanques

 

En 1915,  le poète Rainer Maria Rilke, désemparé par la guerre et sans patrie, eut à sa disposition  l’appartement munichois de la poétesse Hertha König. Il y trouva un lieu pour travailler, une grande pièce dans laquelle fut accroché un tableau de Picasso, Famille de saltimbanques.
Ce sont ces saltimbanques métamorphosés qui resurgiront quelques années plus tard, dans la cinquième des Elégies de Duino, dédiée à Hertha König.
En voici le début :

 

Mais qui sont-ils, dis-moi, ces vagabonds, ces êtres
un peu plus fugitifs encore que nous-mêmes,
et que presse très tôt, que torture un désir
toujours insatisfait – pour qui, l’amour de qui ?
Pourtant ce désir les étreint, les plie et les agite,
les tord, les lance et les reprend; ils redescendent
comme d’un air plus lisse, huilé, sur le tapis usé
aminci par leur éternel bondissement,
ce tapis égaré dans l’univers, posé là tel
un pansement, comme si le ciel de banlieue
avait blessé la terre.
                                            A peine sont-ils là
debout, exposés là: grande majuscule initiale
de la présence …, qu’à nouveau déjà la poigne
sans cesse de retour les roule en se jouant,
même les plus vaillants, …

 

Un pansement pour la terre

 

Cette image du tapis égaré dans l’univers, j’aime bien la reprendre à mon compte. Penser que quand nous méditons, notre tapis posé sur le sol serait un pansement pour la terre me sort immédiatement de la préoccupation de  ‘moi-moi-moi’ qui veut  ‘bien’ méditer . Penser que la terre peut être blessée aussi donne un autre sens à mon geste.
Et puis, nous aussi, tels ces vagabonds, à peine installés dans la belle verticalité de la présence qu’une poigne sans cesse de retour nous roule …

 

Elisabeth Larivière
Paris
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