Punk Mindfulness et engagement social 1/2

Portriat de Betsy Parayil-Pezard

Interview de Betsy Parayil-Pezard – partie 1/2


Américaine émigrée en France il y a 18 ans, Betsy Parayil-Pezard est la co-fondatrice de Mindfulness Solidaire, une association promouvant la pratique de la méditation auprès de personnes en difficulté, en particulier en prison et dans les centres de sans-abris, ainsi qu’au personnel de ces établissements. Elle a également écrit le livre « Méditer c’est se rebeller » qui parle de la « punk mindfulness » (éd. Marabout). Intrigué par ce titre et par son travail, j’ai souhaité la rencontrer afin d’en savoir plus sur son rapport à l’engagement propre à la pratique de la méditation et sa transmission.


Martin : Pour commencer, pourriez-vous me dire depuis quand pratiquez-vous, et dans quel cadre ?

Betsy : J’ai été initiée à la méditation par un pratiquant zen, il y a 12 ans. En plus cette personne m’a donné beaucoup de Koans avec lesquels travailler, et qui m’ont accompagné pendant de nombreuses années ensuite.

Mais depuis très jeune j’avais déjà une vie contemplative, et mon chemin a commencé bien avant que je commence à méditer.
J’ai été très marqué par mon éducation spirituelle dans une toute petite église au Minnesota, avec un cadre très strict.
Nous restions assis en silence pendant une heure trente le dimanche, et les personnes qui le souhaitaient pouvaient se lever et nous partager le fruit de leur expérience, ce qui avait émergé pendant leur contemplation, de manière tout à fait libre.
Cette église n’encourageait cependant pas beaucoup l’indépendance et les réflexions personnelles, ce qui fait que j’ai un rapport assez compliqué à l’autorité depuis ! Mon chemin est donc assez solitaire, ce que je ne recommande pas forcément aux gens.

M. : Avez-vous étudié la pratique de la méditation et le bouddhisme ?

B. : Oui, beaucoup plus tard. Je suis actuellement en train de terminer un Master de recherche en Mindfulness Studies à Lesley University (dans le Massachusetts, aux USA)
On y étudie les racines historiques et théoriques du bouddhisme, que nous accompagnions aussi d’une pratique régulière de la méditation, et tous les enseignants sont des pratiquants.

Il y a de nombreuses formations autour de la méditation, mais celle-ci a de particulier qu’il met intentionnellement l’accent sur la justice sociale. Nous avons beaucoup étudié les mouvements sociaux pour voir les rapports entre méditation, émotions et luttes politiques.
Nous abordons aussi la méditation d’un point de vue scientifique, apprenant à bien lire les études pour ne pas raconter n’importe quoi ensuite.

Mais ce côté de l’action sociale m’intéresse beaucoup, car il permet de se demander qu’est-ce qu’on fait de la pratique, au final. Et de ce fait beaucoup des étudiants dans ce Master travaillent dans le social, dans l’éducation, dans les prisons.

M. : Est-ce que c’est cette manière d’aborder la méditation qui vous a poussé à créer Mindfulness Solidaire ?

Séance de travail chez Mindfulness Solidaire

B. : Non pas directement. C’est né alors que je préparais un séminaire avec un collègue. Il me guidait dans une pratique de méditation en marchant, et alors que nous le faisions dans la rue, une personne assise par terre m’a salué. Ce fut un moment de rencontre très fort, qui a enclenché quelque chose en moi.

Mais j’ai d’abord décidé de ne pas agir. J’ai passé plusieurs mois à ne rien faire de cet évènement, à ne pas tenter de mettre en place toutes les idées que je pouvais avoir autour de la méditation et de l’impact social.

En fait au début je voulais travailler sur la question des sans-abris, et voir comment répondre à l’extrême pauvreté.


Et puis c’est un autre collègue, Sébastien Henry, qui m’a proposé d’enseigner un programme de méditation à l’Armée du Salut. C’était en quelque sorte le premier pilote de Mindfulness Solidaire. C’est là que j’ai senti que c’était un vrai chemin pour moi, et un projet que je pouvais porter.

M. : Pouvez-vous développer pourquoi vous n’avez pas voulu agir tout de suite, pourquoi vous vous êtes donné la possibilité de ne rien faire ?

B. : J’ai une personnalité assez entreprenante, et je viens de la culture américaine qui est beaucoup dans le “just do it”, où l’on n’attend pas, où la lenteur n’est pas une valeur.
Or une partie de ce qui m’a fait venir et rester en Europe c’est justement ces temps lents et la place encore importante accordée aux rituels culturels, comparé aux US. C’est beaucoup moins présent aujourd’hui, alors qu’il y a 20 ans il y avait encore un vrai décalage.

Et le non-agir, comme une pratique, était justement une manière d’aller à l’encontre de certains mécanismes, certaines impulsions que j’avais, pour voir comment j’allais réagir.
J’ai constaté une énergie de plus en plus bouillonnante, et au lieu de la disperser dans pleins d’activités, je l’ai laissée me remplir et m’amener à une vision plus claire.

M. : Et au fond, c’était aussi une forme d’action, qui préparait ce que vous alliez faire après non ? La méditation est souvent opposée à l’action, mais c’est une distinction égarante.

B. : Oui, en méditant, on apprend à être avec l’espace. On apprend à vivre avec un espace non-rempli. On apprend à accepter de ne pas savoir, et à être présent à l’inconnu.
Et notre action devient ainsi beaucoup plus alignée avec nos réelles intentions, et non juste avec des impulsions. En tout cas, dans la méditation il y a une invitation à explorer l’être et l’agir.

M. : Comment est-ce que la méditation peut aider à résoudre les problèmes que connaît la Terre et les êtres qui y vivent ?

B. : Je pensais justement à ça ces derniers jours (avant la première manifestation des gilets jaunes). Je connais aussi bien des gens vraiment en galère, vraiment en difficulté, que des gens plus versés dans l’écologie.
Et ce dont j’ai fait l’expérience, c’est de demeurer dans cette tension, d’être en empathie avec ces différents points de vue, et sentir comment il est ensuite possible de tisser des liens entre nous.
À mon avis, la voie de la méditation permet que nous puissions épouser la cause des autres, même si nous ne la partageons pas entièrement, même si ce n’est pas notre lutte.
Cela naît d’une relation plus éclairée avec soi, et se manifeste par notre capacité à épouser la situation de personnes très éloignées de nous.

M. : Par épouser, vous entendez tolérer, ou bien aider ?

B. : Plus que tolérer. De vraiment utiliser ses capacités, ses ressources, ses talents afin d’aider les autres, et de les aider à mobiliser leurs ressources. La méditation trouve tout son sens dans notre lutte contre l’injustice sociale, et dans les valeurs de l’inclusion.

M. : Donc ça, c’est une manière dont la méditation peut aider la société, d’un point de vue plus collectif. À un niveau individuel, ça donnerait quoi ?

B. : Dans mon livre, il y a un chapitre qui s’appelle “Rester jeune”. La jeunesse est un support d’inspiration pour moi, car il y a une énergie qui n’est pas fatiguée par des décennies d’inertie ou le poids des échecs.
Aux US, la lutte contre la vente des armes est menée par les jeunes par exemple, qui sont vraiment capables de parler à partir de ce qu’ils vivent, de leurs émotions. C’est ce qu’il s’est passé avec les jeunes New-Yorkais qui ont dit au monde dans les années 80, que l’on ne pouvait pas laisser les gens mourir du SIDA sous prétexte qu’ils étaient pauvres, ou gays, ou jeunes, et qu’il fallait trouver des solutions.
Et comme je le comprends, être punk, c’est pouvoir aussi se connecter à l’énergie de la colère, de l’indignation, pour oser aller là où nous nous sentons appelés.

Donc pour moi la méditation est directement en lien avec le fait de pouvoir se relier aux énergies de nos émotions de manière juste, à pouvoir être vraiment touché par ce qu’il nous arrive, à laisser la compassion nous animer.
C’est vraiment ça que j’aimerais demander aux gens : qu’est-ce qui te touche, au plus profond de toi ? Et ça, nous pouvons l’explorer par la pratique.

M. : C’est sûr que c’est un problème que l’on a dans nos engagements, à n’être motivés que par des informations, sans jamais pouvoir s’y relier par le cœur, et ces actions motivées intellectuellement finalement s’effritent assez vite.

B. : Oui, nous manquons de compétences relationnelles, nous sommes parfois très intelligents, mais dans un illettrisme au niveau émotionnel, on peine à se relier les uns aux autres, à vraiment travailler en équipe, moi la première. Dès que c’est difficile, on a tendance à jeter l’éponge.
C’est ce qui revient tout le temps dans les collectifs, les organisations engagées. Même si c’est la cause la plus importante du monde, ils arrivent à s’entredéchirer à causes de problèmes de relation. Mais nos pratiques nous donnent les clés pour aller au-delà de ces échecs et pour créer de nouveaux espaces collectifs fructueux et impactants. Il suffit de continuer à pratiquer face à l’inconnu ou en plein conflit. J’ai beaucoup expérimenté avec les groupes et le dialogue conscient – c’est très puissant, même si les gens n’ont pas de pratique de méditation. Je me rappelle souvent que nous ne pouvons rien faire d’important sans les autres.

… à suivre

Betsy Parayil-Pezard, interviewée par Martin Monin

Paris, le 16 novembre 2018

Vous pouvez vous informer sur le travail de Mindfulness Solidaire sur leur site : www.mindfulness-solidaire.org

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