Méditation et science : l’évolution comme dérive naturelle

Dessin montrant l'évolution du singe à l'homme.

Comment le livre de Francisco Varela, « L’inscription corporelle de l’esprit », a profondément changé ma vision du monde

 

 

En lisant le livre de Francisco Varela, L’inscription corporelle de l’esprit, je me suis rendu compte à quel point mon rapport au monde était subtilement influencé par une certaine conception de l’évolution et qu’une toute autre perspective était envisageable qui pouvait changer radicalement ma façon d’être au monde.

Le néo-darwinisme

Selon la théorie de Darwin, il y a un mécanisme, la sélection naturelle, qui explique l’évolution des espèces. La sélection naturelle c’est l’idée selon laquelle au sein d’une espèce, l’élimination naturelle des individus les moins aptes dans la « lutte pour la vie » permet à l’espèce de se perfectionner de génération en génération. Au XXe siècle ce darwinisme classique est devenu ce que Francisco Varela appelle le néo-darwinisme. Le néo-darwinisme revient à aller plus loin dans l’idée de sélection en disant que seules survivent les espèces les plus capables de s’adapter à leur environnement. Il y a donc l’idée d’une adaptabilité optimale, d’un mécanisme qui permettrait de sélectionner les meilleurs.

Tout ce qui n’est pas interdit est permis

Dans son livre L’inscription corporelle de l’esprit, Francisco Varela développe un certain nombre d’arguments critiques vis-à-vis de cette position. Il en vient à la conclusion que plutôt que de parler d’adaptabilité optimale d’une espèce, il vaudrait mieux parler de conditions minimales pour qu’une espèce persiste. Plutôt que de sélectionner les plus adaptables, l’évolution semble seulement écarter les espèces qui ne satisfont pas des contraintes élémentaires comme la reproduction et la survie.

Il suggère ainsi de passer d’une logique prescriptive à une logique proscriptive. L’évolution ne prescrit pas les espèces les plus adaptées mais proscrit l’existence de celles qui sont les moins adaptées. Il s’agit donc de passer de l’idée que tout ce qui n’est pas permis est interdit (logique prescriptive) à l’idée que tout ce qui n’est pas interdit est permis (logique proscriptive). Il y a de la place pour une grande variété des espèces sur la terre.

Évoluer ensemble

Un autre supposé de la position néo-darwiniste est que l’environnement de chaque espèce est considéré comme extérieur, indépendant d’elle. L’environnement serait ainsi une sorte de cadre préexistant auquel l’espèce devrait s’adapter. Francisco Varela souligne le fait que cette vision n’est pas en rapport avec la réalité. Les êtres vivants et leurs environnements se situent plutôt en relation les uns avec les autres à travers leur spécification mutuelle ou leur codétermination. Il n’y a pas d’organisme sans environnement, il n’y a pas non plus d’environnement sans organisme.
Il prend l’exemple de la relation entre les abeilles et les fleurs. Les couleurs des fleurs semblent avoir co-évolué avec la vision sensible à l’ultraviolet des abeilles. D’une part, les fleurs doivent à la fois attirer les regards des abeilles tout en se différenciant des fleurs des autres espèces. D’autre part, les abeilles recueillent leur nourriture auprès des fleurs, et doivent ainsi pouvoir les reconnaître à distance. Bel exemple de co-évolution, de couplage entre deux espèces dont chacune joue le rôle d’environnement vis-à-vis de l’autre.

L’évolution ? Du bricolage !

Francisco Varela propose plutôt l’idée d’évolution comme dérive naturelle. L’évolution dans cette perspective est vue comme une sorte de bricolage, où l’on n’a pas besoin de considérer que les espèces existent parce qu’elles sont prescrites par une loi extérieure ou une règle d’adaptation optimale. Les organismes sont constitués simplement d’un assemblage de bric et de broc de parties et d’objets qui se sont réunis au hasard et qui forment une entité viable du point de vue de la survie de l’espèce. Voir l’évolution comme dérive naturelle a des retentissements philosophiques ; cela revient à accepter l’idée que notre monde est sans fondement. Il n’y a aucune loi, aucun fondement ultime qui le prescrive.

Ouf !

C’est très soulageant. Au fond, il y a de la place pour la diversité dans le monde, rien n’est parfaitement optimisé ! Moi qui croyais que seuls les plus aptes étaient amenés à survivre. Moi qui me sentais coupable parfois de ne pas être tout à fait optimal, d’avoir l’impression de ne pas être parfaitement adapté dans ce monde, je voyais enfin que je pouvais quand même y avoir une place.

Ouf ! Il y a de la place pour tous les êtres humains sur terre, qu’ils soient bien portants, malades ou infirmes et quelles que soient leurs différences ethniques et morphologiques !

Ahhh ! Le monde n’est pas un environnement extérieur, une contrainte à laquelle je devrais m’adapter pour pouvoir survivre !

Le monde est sans fondement ; il n’y a pas d’ordre supérieur qui prescrive nos pas, nous sommes donc libres ! C’est merveilleux ! Je voyais en même temps à quel point j’étais depuis des années englué sans le savoir dans cette vision du monde qui suppose une adaptabilité optimale par rapport à un monde extérieur préexistant.

Faire monde

Du coup, le lien avec la méditation me semblait aussi tout à fait éclairant. Dans la méditation nous ne cherchons pas à nous adapter, à devenir plus ceci ou moins cela. Nous voyons que nous avons notre place sur la terre, nous ne subissons pas la loi d’un monde qui serait extérieur à nous, nous faisons monde, nous faisons le monde autant que nous sommes modelés par lui.
Dans la méditation nous ne sommes pas passifs, nous « enactons » le monde pour reprendre l’idée « d’enaction » ou action incarnée proposée par Francisco Varela dans son livre. En cela la méditation est une aventure. Elle est l’espace où le monde se déploie. Elle est le lieu où nous faisons l’expérience directe de l’inscription corporelle de notre esprit. Elle aussi est l’espace où nous faisons l’épreuve de l’absence de fondement, c’est-à-dire de l’absence de sol, ou vacuité, dont parlent les textes bouddhiques du Mahayana.

 

Xavier Ripoche

Paris

1 commentaire
  1. Sylvie STORME dit :

    Bonjour Xavier, voilà longtemps que ce livre est dans ma bibliothèque et maintenant j’ai vraiment envie de l’ouvrir… C’est drôle que les scientifique qui parle d’espace moins défini ne prennent pas plus de place! Merci beaucoup pour ces réflexions et les questions qu’elles ouvrent…

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