Le petit chapelet bleu

Fugure d'enfant debout portant une croix autour du cou et les mains jointes

Gentil ou méchant ?

Récemment, lors d’une visite en famille chez mon père, ma fille qui aura bientôt 4 ans est tombée par hasard sur un vieux chapelet en plastique plutôt kitsch ayant appartenu à ma mère, dernière relique d’un catholicisme québécois en complète déshérence. Ignorant les dernières tendances en matière spirituelle, ma fille a spontanément adopté ce chapelet comme collier et ne l’a pas quitté pendant 3 ou 4 jours, le gardant même avec elle pendant la nuit.

Un soir, avant d’aller au lit, ma fille est venue m’embrasser avec son chapelet autour du cou et j’en ai profité pour lui expliquer que ce Jésus en croix qui lui pendait sur la poitrine était là pour la protéger. « Pas du tout », me répondit-elle avec assurance, « il est là pour me tuer ».

Très embarrassé par sa réponse, je me suis empressé en cafouillant de lui dire que Jésus était gentil et qu’il ne cherchait qu’à la protéger. Mais rien à faire, du haut de ses 3 ans et demi elle m’expliqua avec aplomb qu’il y a plusieurs Jésus, certains étant gentils et d’autres très méchants. Face à son assurance indémontable et devant sa joie d’avoir ce Jésus effrayant pendu au coup, j’ai laissé tomber mes arguments et ma fille est partie se coucher avec son petit chapelet bleu.

Le Grand Destructeur

Cette anecdote, qui m’a légèrement troublé sur le coup, m’a rappelé la radicalité d’un commentaire de Martin Luther qui m’avait frappé par le passé et que j’avais complètement oublié. Dans ce commentaire, Luther disait que le Dieu d’amour des chrétiens était aussi un Grand Destructeur. L’homme doit accepter de se laisser détruire, consumer et transformer par Dieu, disait Luther, en ajoutant que l’amour refusé se transformait inévitablement en destruction de soi, des autres et du monde.

Est-ce à une radicalité similaire que ma fille invitait malgré elle ? Me rappelait-elle ce que seul l’esprit d’enfance peut saisir sans effroi, à savoir que l’abandon confiant est aussi une mort à toutes nos sécurités comme à toutes nos petites constructions? Me rappelait-elle aussi que ce feu brûlant est un espace mouvant à retrouver constamment ?

Retrouver le souffle initial

C’est l’un des défis qui nous échoient à tous, nous qui transmettons la méditation. Garder vivant ce souffle initial qui prend chaque jour de nouveaux visages et qui peut même se présenter parfois sous la forme incongrue d’un petit chapelet bleu en plastique ; voilà au fond notre tâche.

C’est pourquoi, si ma fille me le permet, je prendrai le petit chapelet et je le poserai quelque part en retrait lors de nos soirées de méditation à Montréal. Il sera pour l’espace d’une saison un petit signe caché, celui qui nous rappelle que jamais il ne faut oublier l’initial et le commencement, peu importe sous quelle forme il se présente.

 

Philippe Blackburn

Montréal

 

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