Un esprit qui divague

Portrait photographique de Gérard de Nerval

Voyage dans nos pensées

Pour mon mémoire en littérature française, j’ai travaillé sur un ouvrage de Gérard de Nerval, Les Nuits d’Octobre. Si je me suis intéressé à ce livre c’est notamment parce que Nerval y thématise le phénomène de la divagation. Nous avons tous connu des moments où, alors que nous attendions dans une salle d’attente par exemple, nous avons surpris notre esprit en train de divaguer, suivre une direction aléatoire sans savoir où celle-ci l’emmènerait.

Lorsque nous pratiquons la méditation, nous sommes également mis face à ce phénomène de façon très directe. Nous découvrons à quel point notre esprit est fougueux et peut produire un flot important et ininterrompu de pensées. Ces pensées nous embarquent sans que nous le voulions dans un voyage hors du présent, un voyage dont nous ne connaissons pas la destination finale. Parfois, le voyage s’arrête car quelque chose nous rappelle au présent, un bruit, une douleur, notre respiration. Et puis, au bout d’un moment un nouveau train de pensées passe et nous repartons avec lui…

Le livre Les Nuits d’Octobre est un récit de voyage qualifié d’excentrique. Nerval y relate une promenade nocturne qu’il fait d’abord à Paris, puis en campagne. Il y raconte les rencontres qu’il fait au hasard de sa marche. Il décrit ce qu’il voit, les lieux et les êtres qui le surprennent, les rêveries qui le traversent. J’ai adoré ce passage par exemple :
 

XIX. JE M’ÉVEILLE

 

Décidément, ce rêve est trop extravagant… même pour moi ! Il vaut mieux se réveiller tout à fait. Tiens, un coq qui chante !… Je suis donc à la campagne ! C’est peut-être le coq de Lucien :— Oh ! souvenirs classiques, que vous êtes loin de moi ! Cinq heures sonnent, — où suis-je ? Ce n’est pas là ma chambre… Ah je m’en souviens, je me suis endormi hier à la Syrène, tenue par le Vallois, dans la bonne ville de Meaux (Meaux-en- Brie, Seine-et-Marne). Et j’ai négligé d’aller présenter mes hommages à monsieur et à mame le maire ! — C’est la faute de Bilboquet (Faisant sa toilette ) :

Air des Prétendus.
Allons présenter — hum ! — présenter notre hommage
A la fille de la maison !… (Bis)
Oui, j’en conviens, elle a raison,
Oui, oui, la friponne a raison !
Allons présenter, hum ! présenter notre hommage

Tiens, le mal de tête s’en va… oui, mais la voiture est partie. Restons, et tirons-nous de ce mélange de comédie, de rêve et de réalité.

 

De quoi susciter notre curiosité

Ce qui me frappe dans ce passage, outre une écriture entièrement libre des conventions, c’est la manière très précise dont Nerval retranscrit ce qui se passe dans l’esprit du narrateur. On remarque que chaque événement qui a lieu dans le réel – le chant du coq, les cloches de l’Église, le mal de tête – le ramène d’abord au présent puis, tout de suite après ces points de présence, un nouveau commentaire arrive et l’embarque dans cet étrange « mélange de comédie, de rêve et de réalité ». Tout pratiquant qui lit un tel passage, qui n’a à priori rien à voir avec la méditation, peut avoir l’impression que ce qui est décrit lui est familier…

Dans la pratique de l’écriture comme dans la pratique de la méditation, ce qui anime Gérard de Nerval, ou la personne qui médite, c’est simplement l’envie de développer une plus grande curiosité pour mieux se familiariser à la richesse et à l’aspect cocasse de l’esprit.
 

Guillaume Vianin

Neuchâtel

1 commentaire
  1. Lorette dit :

    Voir, s’étonner ou s’amuser de nos divagations d’esprit peut nous faire gagner en confiance. On découvre avec joie que l’on n’est pas que cet être qui nous semble parfois étriqué, un peu « minable » !

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