Corps où es-tu ?

Tableau d'Henri Matisse intitulé "Porte ouverte en Bretagne".

« Mais en fait, méditer, c’est synchroniser le corps et l’esprit » dit un de mes patients, à la dernière séance d’une session de pratique à la clinique où je travaille.

Je suis frappée de la pertinence de cette remarque, résumant avec une acuité déconcertante l’expérience même de la pratique. Mon coeur bondit et je ne peux qu’applaudir. Réellement. D’autant plus que ces mots reprennent une expression de Chögyam Trungpa lui-même.. quel étonnant hasard !

le Réel

Au moment où j’écris ces mots, me revient en mémoire un séminaire dans lequel de Fabrice Midal, rappelant les piliers de la pratique, et au sujet du corps, dit : « notre corps est une évidence, et aussi une énigme » : autre remarque foudroyante, de celles qui ouvrent une brèche vers la vérité. Notre corps, qui est nous, qui nous porte avec plus ou moins de bonheur, de douleur, d’étrangeté ou de familiarité, nous n’en faisons que très rarement l’expérience simple et sans filtre. C’est le paradoxe de ce que Lacan appelait le Réel : si proche et pourtant inaccessible ; aucune approche intellectuelle ne peut nous en ouvrir la porte. 

Lorsque nous nous asseyons en méditation, et que l’instruction nous indique de porter attention à notre corps, nous faisons souvent l’expérience de cet impossible accès. Nous sentons une sensation, certes, une tension, parfois une ouverture, mais souvent, dans ma propre expérience, une sensation d’insaisissable, de transparence : ce corps pourtant matériel ne se laisse pas appréhender dans son unité native. Mais qu’est ce que c’est donc que mon corps ? C’est tout à fait déroutant. Et c’est d’autant plus réjouissant d’expérimenter tout autre chose qu’une saisie du corps dans la pratique. C’est comme si le corps entier, ses sensations, ses perceptions, venaient petit à petit s’accorder pour que nous puissions en entendre une musique précise et unique, bien loin de ce que j’aurais pu imaginer en y « pensant ». Je découvre à mesure que c’est le souffle qui me permet de faire ce lien corps-esprit. En mêlant mon esprit au souffle, il se fait corps, tout aussi insaisissable qu’un inspire ou un expire. Une porte ouverte, sur la présence.


Anne-Céline Karli

Strasbourg

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