Je conjurai la foudre !

Photo de Hans Hartung travaillant avec un grand rouleau

Un petit mot, chers amis, pour partager avec vous un enthousiasme : je suis ressortie sonnée de l’exposition Hans Hartung, au Musée d’Art Moderne de Paris !

Cet homme porte en lui le monde. Non seulement son époque en des abîmes qui ont pris d’autres visages, mais sont toujours les nôtres, mais aussi les forces du ciel et de le terre tout ensemble ! Fureur de vivre, fureur de peindre ! Chez Hans Hartung, c’est, à vrai dire, la même chose :

« Sur un de mes cahiers d’école, écrit-il dans son Autoportrait, j’attrapais des éclairs dès qu’ils apparaissaient. Il fallait que j’aie achevé de tracer leurs zigzags sur la page avant que n’éclate le tonnerre. Ainsi, je conjurai la foudre. »

De fait, j’ai ressenti l’ensemble des œuvres de Hartung comme un effort héroïque de conjuration. Il parle parfois de vaincre la mort par l’art. Mais en quel sens l’entendre ? Moins, beaucoup moins je crois, par désir d’immortalité, que comme réponse systématique à toutes les attaques de l’existence, et les menaces de mort ! Rester vivant, c’est-à-dire, pour lui, rester peignant : Tel est le geste réitéré de sa plus tendre enfance, jusqu’à son dernier souffle, par Hans Hartung.

Ce qui m’a en effet bouleversée, c’est avant tout son aptitude à transformer sur le champ, tout ce qui lui arrive, en éclat de lumière ! Ou plutôt, à montrer que, quel que soit l’obscurcissement traversé, celui-ci ne vient jamais à bout de la lumière ! Rien n’aura pu l’empêcher de peindre : ni une jambe perdue pendant la guerre, ni, plus tard, un accident vasculaire cérébral, qui ont décuplé ses capacités créatives. Suite à cet accident, il peindra des centaines de tableaux…

Photo de Hans Hartung travaillant avec un pinceau multiple

Hartung peint de tout son corps, et quand celui-ci s’affaiblit, il trouve d’autres moyens pour pallier ses faiblesses. Même mutilé, il découvrira les façons de faire adéquates, en allant chercher des instruments substitutifs et inédits: des griffoirs, des balais, des truelles de maçon, des tyroliennes (initialement utilisés pour faire du crépi), et finalement, quand son corps n’a plus la force du corps à corps avec la toile, des pistolets qui font qu’il n’a plus à toucher le tableau ! Tout ce qui lui tombait sous la main était bon ! Se fût-il retrouvé dans un désert, il aurait peint avec les pierres et le sable, dans une explication sans fin avec la matière. Rien ne semble, chez lui, définitivement perdu.

L’exposition présente d’ailleurs, en prime, en son centre, un beau documentaire d’Alain Resnais sur Hartung, où le cinéaste souligne combien ce peintre abstrait est en réalité incroyablement concret !

Concret non seulement dans son affrontement avec la matière, mais en ce que son œuvre est à la fois porteuse de sa propre existence, de son époque, en ses espoirs, et ses abîmes, et finalement des forces de l’univers entier. Une toile très touchante porte une indication étonnante : « 38-45 ». Dans ses archives, le peintre note en effet que « le fond est probablement de 1939, et le dessin de 45 », comme s’il avait voulu renouer le fil brisé d’une histoire dans la violence de laquelle, il a subi une grave mutilation.

Mais, à partir de là, les expériences et les métamorphoses ne cesseront de s’enchaîner jusqu’à une identification ultime avec les puissances cosmiques : « J’essayais de  saisir de l’intérieur, de m’identifier aux tensions atmosphériques, aux énergies, au rayonnement qui gouverne l’univers ». Et il déclare finalement : « le plaisir de vivre se confond chez moi avec le plaisir de peindre. Quand on a consacré toute sa vie à la peinture, quand on a essayé d’aller toujours plus loin, il est impossible de s’arrêter ! »

Puisse ce résilient magnifique avoir rejoint, la dernière couleur abandonnée à la toile, les forces qui le portaient !

Danielle Moyse

Chennevières

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