La méditation : un chemin de « dés-emparement »

Couverture du livre "La couleur et la parole" et photographie de l'auteur, Hadrien France-Lanord.

La couleur et la parole 

Dans quelques jours, j’aurai l’occasion d’évoquer, lors d’une séance du mercredi soir ouverte au public et aux personnes désireuses de découvrir la méditation à la Prudentielle, la façon dont me parle, principalement après le séminaire qui lui a été consacré au sein de notre École, le mythe de Narcisse.

Peut-être reviendrais-je à vous, après cet exercice et l’échange qu’il aura peut-être engendré, pour parler encore de ce mythe. Mais, avant cela, j’aimerais évoquer ce que m’a inspiré, relativement à la méditation, la lecture, entreprise à l’issue du séminaire, du livre que Hadrien France-Lanord (qui y intervenait), vient de consacrer aux liens profonds qui unissent les chemins de pensée de Martin Heidegger et de Paul Cézanne, et qu’il m’a offert à Dinard, (La couleur et la parole ; les chemins de Paul Cézanne et de Martin Heidegger, Gallimard, collection l’Infini).

Ce n’est pas le lieu d’évoquer dans le détail ce livre important. Ou plus exactement, cela pourrait parfaitement l’être, mais il me faudrait un travail de longue haleine, pour parler de ce texte, dans l’espace limité des quelques lignes de nos brèves interventions sur ce blog, sans en trahir la subtilité.

Se tourner vers les peintres

Je préfère donc m’arrêter à un point : dans un chapitre où il est question de la présence et de la vibration de la couleur, à la faveur de laquelle les compositions de Cézanne nous abordent, Hadrien France-Lanord mentionne un état de « dés-emparement » de l’être humain qui « l’invite à se mettre à l’écoute pour qu’il se fasse le répondant du monde » ! Superbe manière de dire ! Hadrien montre au fond qu’il a été nécessaire à Cézanne d’expérimenter ce « dés-emparement », pour le faire apparaître à son tour, à travers ses toiles !

Intervenant de longue date, et pour notre plus grande chance, à l’École occidentale de méditation, Hadrien n’a pourtant jamais caché qu’il ne la pratiquait pas lui-même, et que l’équivalent le plus proche qu’il pouvait y trouver dans son travail personnel était sans doute le temps accordé à l’exercice du regard qu’il porte sur le travail des grands peintres, en particulier, celui de Cézanne. Évoquant dans son livre « les chemins de Paul Cézanne et de Martin Heidegger », et la façon dont l’un et l’autre se font écho, on peut deviner que la lecture de Heidegger est une autre source qui a pu le conduire dans cet espace méditatif, qui rend sa parole si familière, à chaque fois qu’il intervient lors de nos séminaires.

Le philosophe et la méditation

Je peux témoigner moi-même que j’ai lu Heidegger (À la rencontre de Martin Heidegger, Éditions Oxus), bien avant de pratiquer la méditation. Et que lorsque j’ai entrevu la vérité de cet exercice, j’ai aussitôt compris pourquoi Fabrice Midal était à la fois un lecteur de Heidegger et un méditant.

Rencontrant un moine thaïlandais, Heidegger lui demanda d’ailleurs ce qu’était la méditation. Celui-ci répondit : « Il s’agit de « se recueillir ». Plus l’être humain, sans l’effort de la volonté, se recueille, plus il se dépouille de lui-même. Le « Je » s’éteint. Jusqu’à n’être à la fin qu’un … Rien. Mais ce Rien n’est pas « rien », il est au contraire <…> la plénitude. » À l’écoute de cette définition, Heidegger répondit : « c’est précisément cela que, ma vie durant, j’ai toujours dit ». (Le chemin de l’étoile, H.W. Petzet, Éditions du Grand Est).  On comprend alors comment Hadrien France-Lanord, dont le chemin de pensée a toujours été éclairé par celui de Heidegger, peut, inversement, nommer des états, qu’on pourrait prendre pour une véritable définition de la méditation !

Emparés !

Tel est bien le cas, lorsque Hadrien nous parle de « dés-emparement » ! D’un exercice, ou mieux, d’un chemin de « dés-emparement ». L’expression peut évidemment avoir quelque chose d’inquiétant. L’être humain désemparé n’est-il pas perdu, égaré ? D’où l’intérêt du trait d’union qui fait entendre le mot d’une autre manière : l’être humain « dés-emparé » est celui qui a cessé d’être emparé, et d’emparer lui-même !

Car « on » ne cesse de s’emparer de nous, qu’il s’agisse du monde ou des autres, et nous ne cessons non plus, de nous emparer de tout. Ou plus exactement, la manière d’être ordinaire, et qui n’est pas pour autant la plus juste (!), c’est de vivre sous le régime de l’emparement, c’est-à-dire d’une façon crispée, et comme capturée par les choses !

Nous laisser être nous-mêmes

L’exercice ou le chemin de « dés-emparement » dont parle Hadrien France Lanord est ce chemin de libération, par lequel, advenus à ce point où nous pourrions « laisser être » ce qui est, et nous laisser être nous-mêmes, nous pourrions en effet nous mettre à l’écoute de ce qui s’adresse à nous afin d’y répondre de la manière la plus juste.

Dans la méditation, nous touchons parfois, fût-ce par éclair, ou dans des moments plus longs d’apaisement, à cette grâce où nos pensées nous traversent sans « occuper » tout notre « espace mental », où nos émotions nous abordent sans nous enfermer, où la présence des choses nous délivre et nous porte !

Puissent les hommes de notre temps s’acheminer, par la voie qui est la leur, vers ce bel état de « dés-emparement », qui est le véritable espace de la liberté !

 

Danielle Moyse

Chennevières

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