Méditation et science : la discontinuité de l’expérience méditative

Courbe de mesure de signal ERP.

Un laboratoire

La méditation permet de développer une attention fine à notre expérience. C’est un peu comme se mettre dans des conditions de laboratoire pour étudier notre esprit. On ralentit par rapport à notre vie quotidienne, ce qui nous met dans des conditions propices pour voir les événements mentaux qui se déroulent dans notre esprit. Les personnes qui pratiquent depuis peu sont souvent déroutées de voir à quel point l’esprit peut être instable. Le fait de ralentir met en effet en évidence la discontinuité de notre expérience. Alors que dans la vie de tous les jours on a une impression de continuité, dans la méditation on peut passer du coq à l’âne en une fraction de seconde. On est là, présent à notre posture, et tout à coup on se retrouve plongé dans un souvenir du passé ou dans une projection sur le futur.

Méditer c’est un peu comme prendre un microscope pour regarder notre esprit et on découvre que le fil de notre expérience que l’on croyait continu est en fait constitué d’une succession de brefs événements mentaux.

Francisco Varela

Cette discontinuité est l’un des thèmes traités par Francisco Varela dans L’inscription corporelle de l’esprit. Il décrit ainsi cette expérience : « Les débutants en méditation sont d’habitude stupéfaits de découvrir l’activité tumultueuse de leur esprit : perceptions, pensées, sentiments, désirs, peurs et toutes sortes d’autres contenus mentaux se pourchassent à l’infini comme un chat qui essaie d’attraper sa queue », et encore « Le méditant prend conscience d’une fugacité intime qui pénètre l’activité même de son esprit ».

Francisco Varela était à la fois pratiquant de méditation et chercheur en neurosciences. Il s’est attaché à étudier les correspondances entre les écrits de l’Abhidharma (les enseignements bouddhiques) et les neurosciences. Il a essayé en particulier de voir si on pouvait mettre en évidence une discontinuité dans le fonctionnement du cerveau humain qui pourrait correspondre à ce que les textes bouddhiques décrivent.

Mesurer la discontinuité des pensées

Dans ces expériences, on mesure l’activité neuronale et les réactions de personnes à différents stimuli sensoriels. Le principe est de mesurer cette activité au moyen d’électrodes appliquées sur la tête de la personne. Les potentiels électriques mesurés sont enregistrés et on peut ainsi faire des corrélations entre l’activité du cerveau et les événements mentaux qui traversent l’esprit de la personne.

Certaines expériences mettent en évidence que nos perceptions sensorielles sont étroitement liées à la structuration temporelle particulière de notre cerveau. Le temps pour le cerveau humain est découpé en une succession de petits intervalles d’environ un dixième de seconde. Deux stimuli visuels séquentiels (qui ont lieu l’un après l’autre) sont vus comme simultanés s’ils se produisent dans le même intervalle de temps ou comme séquentiels s’ils se produisent dans des intervalles différents. Par exemple si on allume séquentiellement deux petites lumières positionnées l’une à côté de l’autre, selon que les deux événements visuels se produisent dans un même intervalle ou pas, la personne les verra s’allumer simultanément ou aura l’impression que la première lumière s’est déplacée de la position de la première lumière à la position de la deuxième lumière.

Songeons par exemple à la pellicule cinématographique constituée d’images que l’on fait défiler devant nos yeux à la cadence de 24 images par seconde. Nous avons une impression de parfaite continuité, car nous voyons au moins une image dans chacune de nos petits intervalles temporels d’un dixième de seconde.

Une fraction de seconde

Dans d’autres expériences, on mesure l’activité neuronale d’une personne à qui on demande d’effectuer une tâche simple comme d’appuyer sur un bouton en fonction de différents stimuli visuels qu’elle reçoit. On se rend compte que ce type d’activité est associé à un signal neuronal qui ne dure pas plus d’une demi-seconde. Ces signaux électriques mesurés sont un peu comme les « ombres de la pensée ». Ainsi comme le dit Francisco Varela : « La période critique d’environ 0,15 seconde semble être la quantité de temps minimale pour qu’émerge un percept descriptible et reconnaissable. Au-delà de ce minimum, bien sûr, la nature unitaire d’une conceptualisation plus complexe peut durer beaucoup plus longtemps – jusqu’à 0,5 seconde –, mais guère plus ». Un « percept descriptible et reconnaissable » c’est la manière scientifique de parler d’une pensée.

Ce type d’expérience montre donc qu’une pensée ne dure pas plus d’une demi-seconde. Une façon dont j’interprète cela du point de vue de la méditation c’est que quand une pensée surgit dans mon esprit qui m’éloigne de la présence, dès lors que je vois cette pensée mais que je n’en rajoute pas, que je ne m’y attache pas et ne l’entretiens pas en la laissant rebondir sur d’autres pensées, si je la laisse se dissiper d’elle-même, c’est un événement mental qui ne dure pas plus d’une demi-seconde.

Observer la structure de notre esprit

Ces expériences montrent bien à la fois la discontinuité temporelle du cerveau humain et donnent un ordre de grandeur de la durée de nos pensées unitaires. Méditer permet d’apercevoir ce fonctionnement discontinu de notre esprit. Il n’y a donc pas à s’affoler de voir à quel point nous passons souvent du coq à l’âne dans la méditation. C’est comme si on observait la matière avec un microscope électronique et que l’on commençait à en apercevoir la structure atomique. Dans la vie quotidienne nous ne voyons pas cette structure discontinue de notre esprit, car les pensées s’enchaînent les unes à la suite des autres et nous donnent une impression de continuité, comme la pellicule cinématographique.

Pour moi cette discontinuité de l’expérience de la méditation est certes déroutante, mais c’est aussi une bonne nouvelle. Je peux apercevoir la structure microscopique de mon esprit. Je me rends compte à quel point il peut y avoir de l’espace entre mes pensées, des brèches salutaires dans le flot de mes élaborations mentales.

Cette discontinuité est aussi le signe que rien n’est prévisible. Rien n’est prédéterminé, tout peut changer d’un instant à l’autre. Il y a une dimension d’aventure, d’espace et de liberté.

 

Xavier Ripoche

Paris

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