Homme assis

Image d'un détail du tableau "Homme assis" (1905) de Cézanne

Debout face à l’Homme assis.

Pile en face, à la bonne distance.

Sur ma ligne d’horizon il y a le centre du tableau : la main droite de l’homme repliée en poing reposant sur sa cuisse. Ce poing irradie de lumière d’ocres bien que ce soit le muret, derrière lui, qui prenne et renvoie le maximum de lumière. Un fin liseré d’ocre rouge pur souligne le contour de la manche. Le chapeau de paille est en lumière aussi mais moins intense et il porte une ombre légère sur le visage. Une tache peinte très claire appartient au tissu jeté par-dessus son avant-bras gauche. Tous les blancs purs sont constitués de la toile laissée vierge. La palette me semble constituée d’ocre jaune, de terre de Sienne naturelle, de terre d’ombre naturelle, d’ocre rouge, de terre de Sienne brûlée, de vert émeraude et de terre verte, de bleus de cobalt, d’outremer et de Prusse, de blanc d’argent et de noir de pêche, que Cézanne employait d’après Émile Bernard.

Le visage de l’humanité

L’Homme est là, de toute sa hauteur, depuis le sommet de son chapeau de paille jusqu’à la pointe des pieds ; il ne se présente pas de face mais de trois quarts. Sa présence est tonique et détendue à la fois. Sereine ? Il fait un avec la végétation derrière lui, avec les trouées de ciel et le sol terreux. La ligne contournant la figure n’est jamais continue. Elle laisse passer. Ses couleurs résonnent avec celles de l’espace autour, la végétation, un tronc d’arbre à deux branches, un peu de ciel, un muret, le sol. Le gris- bleu de son épaule droite est celui du ciel – trouée. L’articulation du coude droit semble ouverte, elle est du même vert émeraude que les arbres. La rotule du genou droit également, puis l’os, le tibia sous-cutané est perceptible dans cette jambe élégamment suspendue. La jambe gauche est verticale, parallèle aux pieds du tabouret, les points d’appui du pied- le talon et l’avant du pied – sont visibles à travers les chaussettes et les chaussures légères telles que les hommes en portent dans les pays du Sud. Sa main gauche s’appuyant sur une canne est tellement présente sans qu’on la voie vraiment. De même le visage. Ce n’est pas le visage d’un individu mais on dirait celui de l’humanité.

La peinture comme proclamation de la Présence

Je trouve les pages consacrées à l’Homme assis parmi les plus exaltantes de La Couleur et la Parole. Hadrien France-Lanord l’y considère comme « une des propositions picturales et éthiques les plus audacieuses, les plus belles et les plus nécessaires à méditer pour penser l’habitation humaine aujourd’hui. (…) L’humanité de l’Homme assis n’est pas une souveraineté qui s’arroge un pouvoir sur le monde, ni une subjectivité qui en jouit esthétiquement, c’est une figure aux contours ouverts, qui se laisse chromatiquement pénétrer en tout point de son corps par la vibration concrète et tonale du monde. »

Dans la pratique de la méditation il nous arrive, parfois, des moments de grâce. Cela peut consister à faire un avec ce qui nous entoure; il n’y a plus de séparation, nous ne sommes plus un sujet isolé mais une présence reliée… Comme si une ample paix envahissait l’espace dans lequel nous sommes posés.

Quand je regarde l’Homme assis, je retrouve cette paix, cette fraîcheur. C’est indicible.

Pouvoir rester, aussi longtemps que je le souhaite, en présence de cet homme, le nez quasiment collé sur le tableau, m’apparaît comme un miracle mondain. Il est même épargné par les conférenciers officiels qui passent rapidement. 

Quel évènement !

Aucune reproduction, aucune photo ne pourra jamais rendre compte de cette rencontre réelle. Sur la carte postale, le tableau est coupé de sorte à falsifier les proportions, les lumières des bords du tableau sont coupées, les couleurs très mal restituées.

Hadrien a cette magnifique expression : C’est un « poumon chromatique. »

Elisabeth Larivière

Paris

Vous pouvez actuellement aller voir l’Homme assis à l’exposition Cézanne et les maîtres – Rêve d’Italie, organisée par le musée Marmottan, à Paris, jusqu’à début janvier 2021.

0 commentaires

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.