La marche de l’éléphant

Photographie d'un groupe d'éléphants en marche vu de face.

Méditer, un effort ?

En préparant l’enseignement de notre session du mercredi soir à Bruxelles, il m’est venu l’envie de partager avec vous ce que j’ai lu dans Le Cœur du Sujet de Chögyam Trungpa à propos de l’attention à l’effort, car, comme vous le savez la méditation est une pratique d’attention.

Voici donc quelques mots librement inspirés du texte de Trungpa, que je vous recommande d’ailleurs vivement.

Le mot effort est fortement connoté, il indique quelque chose d’un peu pesant, lié au sentiment de devoir. Que vient donc faire la notion l’effort ici, alors que, à l’École occidentale de méditation, nous attachons justement beaucoup d’importance au fait qu’il n’y ait rien à réussir, rien à forcer ?

C’est bien que l’effort dont il est question n’a rien à voir avec l’effort intentionnel que nous déployons pour atteindre quelque chose, comme une poussée insistante dans une direction unique, tel un ver de terre qui avance droit devant lui. En effet, cet effort intentionnel et maladroit mettrait complètement en péril la pratique de l’attention ouverte à laquelle nous nous entraînons.

Un certain allant

Ce que nous pouvons garder de la notion habituelle de l’effort est la vigueur qui lui est intrinsèque car, dans la pratique, un certain allant est nécessaire. En effet, nous ne rêvons pas, nous ne nous relaxons pas, nous méditons. L’image reprise dans les textes est plutôt celle de l’éléphant qui marche, d’un pas lourd certes, mais avec une telle assurance et une telle dignité qu’on ne peut l’arrêter. Éléphant qui a, contrairement au ver de terre, une vision panoramique de toute la situation.

Le type d’effort auquel nous prêtons attention est, pourrait-on dire, sérieux … mais pas trop !

Entre l’excès de solennité et de sens du devoir qui gèle la pratique et la volonté farouche d’oublier toutes les difficultés rencontrées pour – enfin ! – réussir.

En fait, il s’appuie sur l’instinct qui ramène toujours l’esprit voyageur à l’attention au souffle. Il n’y a pas tout un processus compliqué à mettre en place : on suit son souffle, on médite, et, lorsqu’il y a rêve, instinctivement, quelque chose nous ramène à la réalité, comme dans un éclair de présence.

Ce qui nous fait revenir

Soyons un peu phénoménologique et examinons précisément ce qui se passe dans l’expérience de la pratique. L’éclair de présence, ce qui nous fait revenir, c’est la sensation de la dualité brute, la sensation de séparation. Cela veut dire que, tout à coup, nous sentons que nous ne sommes pas ce bruit que nous venons d’entendre, que nous ne sommes pas cette couleur que nous distinguons, ni ce voisin sur notre gauche.

C’est un processus instinctif, à un moment nous constatons qu’il y a « soi » et qu’il y a « autre que soi ». Il n’y a pas à s’en vouloir, c’est comme cela. Ce que nous pouvons faire alors c’est en quelque sort surfer sur la vague et, au moment où nous nous rendons compte de cette séparation, où nous nous rendons compte de cet éclair de présence, nous revenons au souffle en y portant notre attention.

Nous ne nous disons pas « je dois revenir au souffle », non, nous faisons simplement attention au changement de ton général que cela donne à la situation, peut-être avez-vous tout à coup plus froid, ou vos yeux sont plus éblouis par la lumière… peu importe. Nous sommes ramenés, de manière abrupte et immédiate à la sensation qu’il se passe quelque chose ici. Et nous revenons au souffle. C’est cela le cœur de l’attention à l’effort.

Ce qui l’embourbe c’est notre tendance à verbaliser tout ce qui se passe dans la pratique. Or l’effort dont nous parlons est un effort abstrait, sans nom, idée ou étiquette, c’est plutôt comme une secousse, un changement de cap soudain sans nouvelle destination annoncée, un rappel, un saut, un étonnement.

Une fois que s’est produit cet instant d’attention, il ne s’agit ni de le maintenir, ni de s’y accrocher, ni de le cultiver. Mais bien, semblable à la marche de cet éléphant qui se déplace pas à pas, lentement, imperturbablement, revenir au souffle en prenant en vue l’entièreté de la situation.

Marine Manouvrier

Bruxelles

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