He can’t breathe

Photo de George Floyd et texte en anglais

Nous sommes en 2020. Et en 2020 encore, des êtres humains meurent des mains de ceux qui sont censés les protéger. L’État tue, en 2020, et nous ne pouvons l’ignorer.

La mort de George Floyd, à Minneapolis la semaine dernière, est profondément choquante. Elle signe, une fois de plus, l’inhumanité propre à notre temps. Un homme noir, assassiné dans la rue en plein jour, étouffé par le genou d’un policier blanc, écrasant son cou durant de longues minutes et refusant d’entendre les derniers mots répétés par cet homme : « I can’t breathe. I can’t breathe. »

Chaque mois, de nouveaux meurtres d’hommes, de femmes ou d’enfants ont lieu aux USA des mains de la police, car coupables d’être noirs. Mais ne croyons pas que ça ne nous concerne pas. En France aussi, la police tue et violente ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau, le bon prénom, ce encore plus pendant le confinement.

Et nous ne pouvons l’ignorer.

Car cette violence n’a pas qu’un seul visage et elle est perpétuée au quotidien par des gestes et des actes apparemment inoffensifs, inconséquents, mais qui participent de la même domination et dévastation.

Notre société éduque à mépriser les femmes, les personnes d’une autre couleur ou culture, d’une autre orientation sexuelle, d’un autre pays. Elle éduque par les propos, les films, les livres, la musique, la pensée, l’économie, d’une seule partie restreinte et pourtant dominante de la population.

Cette domination est profondément ancrée en nous, d’une façon non-dite et pourtant très claire. Cela donne à certains d’entre nous des privilèges et donc des pouvoirs qu’ils exercent, consciemment ou non, sur les autres.

Qu’est-ce que je peux faire de concret pour changer cette situation ? Comment cesser de participer à ce système de domination et d’écrasement de celles et ceux qui me sont différents ? Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire, en voici par exemple une liste anglophone.

Mais avant cela, avant de chercher une action, il me faut changer sérieusement, et en profondeur, mon rapport au monde. La méditation m’y aide, en me forçant à voir ce qui déconne, et en me montrant comment vivre autrement que par le pouvoir.

Voir ce qui déconne

Plus on médite, plus on est forcé de regarder. Méditer, c’est juste être assis, sans rien faire. Même si je vais passer une bonne partie du temps perdu dans mes pensées, il y a quand même des instants où je suis ramené au présent. Dans ces moments, je vois. Je ne suis plus aveuglé par le bavardage tourbillonnant de mes pensées, et je vois ce qu’il y a avec moi, autour de moi, en moi. Les bruits de la rue. La lumière sur le parquet. Une certaine tristesse. Mes bras. Je vois tout ça, je le sens.

Et plus on pratique, plus on remarque ces moments où l’on est là, en contraste avec les temps d’absence ou de concentration. C’est comme ça qu’on apprend à mieux voir les situations, à mieux entendre ce que disent vraiment les gens, à mieux sentir ce que l’on ressent vraiment.

C’est très précieux, car ça aide à voir tous les moments où l’on déconne. Plus je médite, et plus c’est difficile de faire semblant de ne pas avoir vu quand je me comporte comme un connard. J’ai beau m’entêter, me persuader que j’ai raison d’être énervé, que j’ai raison d’avoir dit ce cliché offensant, que j’ai le droit de ne pas faire d’effort, eh bien ça ne passe plus vraiment. Ça ne tient plus la route très longtemps.

Je suis forcé de voir la réalité, de voir la domination que j’exerce sur les autres, de voir comment mon langage est violent, insultant. De voir comment je perpétue des inégalités, des jugements de valeur. De voir comment je reste silencieux quand des propos racistes ou sexistes sont prononcés, dans un cadre professionnel ou privé, sur le ton de l’humour ou non. Je ne peux plus l’ignorer.

Mais voir le problème, voir tous les moments où l’on a dit, fait ou juste pensé quelque chose qui participe de notre système d’oppression, n’est pas suffisant pour cesser d’y prendre part. J’ai longtemps cru qu’il me suffirait de le voir pour arrêter, mais je me suis trompé.

Ce serait trop facile. Je ne peux pas faire comme si mes privilèges disparaissaient, sous prétexte que j’en ai soudainement pris conscience. Quoique je fasse, ils seront là, puisque cette domination, raciste, sexiste et destructrice de la Terre, est structurelle, elle est au fondement de notre société moderne.

Reconnaitre que j’ai des privilèges, et les voir se manifester dans la majeure partie de mes relations, est donc une première étape. Comprendre que je ne peux les effacer est une seconde. Agir en conséquence, c’est-à-dire en apprenant à vivre autrement que par le pouvoir, est une étape supplémentaire pour tenter de changer en profondeur.

Vivre autrement que par le pouvoir

En méditant, on apprend ce que veut dire le retrait. Mettre son petit moi et ses désirs incessants entre parenthèse, pour laisser apparaitre le réel, la situation. Je ne cherche pas à me supprimer, à disparaitre, mais juste à laisser de la place au monde, aux autres. À ne plus être au centre de tout ce que je dis, fais ou pense.

Comment cela se produit ? Simplement en respirant. Suivant le va-et-vient du souffle qui se fait tout seul, sans effort, sans qu’on ait à le contrôler pour exister, je me désenferme petit à petit. Je ne vois plus le monde pour ce qu’il devrait m’apporter, pour son utilité, mais juste pour ce qu’il est. Je ne suis plus au-dessus ou en-dehors du réel, je suis avec.

M’entrainant à cela en méditant, j’apprends aussi à le faire au quotidien. Comment ne pas chercher à imposer mon point de vue ou ma décision, de manière automatique, mais accepter de me mettre en retrait pour laisser parler l’autre. Être capable de me mettre à sa place. Écouter ce que dit la situation, ce qu’elle requiert, indépendamment de ma seule volonté.

Il ne s’agit pas de m’écraser dans un élan de culpabilité, mais d’apprendre à voir ce qui est juste, à partir de la situation : à qui je parle, dans quel contexte, à partir de quels rapports structurels. C’est un exercice d’intelligence, émotionnelle, situationnelle, pratique, et on en manque beaucoup !

Faisant cela, je vais à l’encontre de ma volonté, qui voudrait dominer le réel et donc les autres pour satisfaire mes projets, mes plaisirs. Je ne vis plus en n’écoutant que ce que je veux, je vis en écoutant ce qui est juste et ne dépend pas que de moi.

Voici le travail que je peux faire, aidé par la pratique de la méditation. C’est un réel chemin, où rien n’est jamais acquis. Cela demande une vraie discipline pour continuer de voir ce qui déconne, et vivre selon un autre mode que l’ordre habituel.

Ce travail n’est rien en comparaison de la souffrance connue chaque jour par tant de personnes, et il n’est bien sûr absolument pas suffisant pour changer les choses. Mais il est pour moi un premier pas indispensable si je veux m’engager dans ce monde pour le rendre plus juste, et plus respirable.

Martin Monin

Kuala Lumpur

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