Se relier à notre vraie nature, l’ouverture

Photo d'un panneau interdisant de méditer

Le bruit extérieur s’est estompé, le chant des oiseaux du printemps vient zébrer le silence.

Le tempo a ralenti, plus de petit-déjeuner avalé en vitesse, plus de cafés bus dans les embouteillages, plus non plus de sonnerie toutes les 50 minutes avec son flux d’élèves qui sortent et entrent en classe.

Cela pourrait ressembler à un mois de juillet.

Sauf que…

… la plaine de jeux en bas de chez moi est barrée de larges bandes rouges et blanches. Et, sur les grilles, il y a maintenant un petit sigle qui interdit de méditer dans l’herbe.

Il est surprenant ce sigle ! Outre le fait que je n’ai jamais vu méditer personne dans le parc où tous les chiens du quartier jouent, il ne me semble pas a priori que ce soit l’activité la plus dangereuse en termes de distanciation physique.

De nouvelles formes de lien

La méditation est sans doute une des pratiques les plus nécessaires pour le moment, accessibles à tous, sans bouger de chez soi.

Je pense ce matin au décalage immense qu’il y a entre cette impression de vacances, ces complaintes de personnes confinées qui tournent en rond, les préoccupations de ceux qui se demandent comment ils vont récupérer les petites graines de plants de tomates que leur voisin leur a promis, les conversations à 2 mètres de distance devant le boulanger et les difficultés qu’affrontent les soignants, les personnes malades ou leurs proches, tous ceux qui travaillent pour que nous puissions nous nourrir.

Dans ma rue, nous avons maintenant le groupe whatsapp « les voisins des Cottages ». Nous n’avons jamais été autant en contact qu’en période de confinement ! Nous sommes heureux de nous voir à 20h au balcon ou sur le pas de la porte, tous les soirs, pour applaudir tous ceux qui soignent et travaillent, heureux de lancer un « à demain », pour nous assurer que le lien tiendra au moins jusque-là.

Tout cela, ces petites choses, sont essentielles.

Ce qui me frappe c’est ce décalage, forcément invisible puisque nous sommes cloîtrés chez nous, qu’il y a avec ceux qui sont en premières lignes, ceux qui souffrent, ceux qui doivent travailler.

Il faut tenir ces deux pans de la réalité ensemble, il y a dans l’air un temps ralenti, plus calme qu’à l’habitude et un temps d’éreintement, de stress, d’angoisse.

Se relier par la présence

Je pense particulièrement aux personnes malades qui ne peuvent ni entendre les mots d’encouragement de leurs proches, sentir une main sur la leur, se plonger juste dans le regard de l’autre. Et aux proches, dont l’acmé de la journée devient l’appel de l’hôpital pour donner des nouvelles. La question de la présence devient alors éminente.

La méditation me met en présence, la méditation recueille l’ambivalence de l’expérience. Alors qu’une partie de la journée, je suis coupée de ce que je ressens, sur le coussin, tout peut venir à la présence.

Au réveil, je m’assieds, face à l’est, accompagnée par la lumière changeante de l’aube.

De longues minutes se passent avant que tout en moi se dépose. Peu importe le temps, le coussin est le lieu de l’accueil. Le coussin, c’est la terre, qui patiemment recueille tout, nos chagrins, nos angoisses, nos joies. Au fur et à mesure que cela œuvre, l’expérience du corps se transforme, d’extrêmement dense et serré, il devient peu à peu spacieux, ouvert et droit. Les sensations recouvertes jusqu’alors apparaissent. Le souffle est un peu libéré, moins douloureux et il devient le lieu-même de la présence à l’autre.

Je respire avec tous ceux qui respirent.

Avec ceux qui respirent sans peine mais aussi avec tous ceux pour qui c’est l’acte le plus difficile aujourd’hui, tous ceux pour qui chaque souffle est une limite entre vie et mort.

A cela je peux être présente sur le coussin. Je ne risque de ne contaminer personne dans le silence de ma chambre. Sentir mon corps se poser, puis très lentement être appelé vers le ciel, sentir tout le chagrin, l’impuissance, sentir l’air qui entre et sort et célèbre la vie en moi.

Méditer me relie à la fragilité humaine et c’est alors bon de sentir que la présence n’est pas que matérielle. Dans le point de présence qui surgit il y a l’entièreté de l’expérience humaine.

Il n’y a rien à faire. Tout est là. 

C’est dans ce simple constat, qui n’est ni raisonné ni raisonnable, constat de l’expérience nue – il n’y a rien à faire, tout est là – que surgit la confiance et la force.  En chacun de nous, il y a un été invincible[1], quoi qu’il puisse arriver. Ce soleil de la confiance qui nous baigne lorsque nous saluons l’humanité en nous, il est là. Et c’est de cette confiance, de cette force humble et fière, dont nous avons besoin aujourd’hui.

Nous en avons besoin car elle est le terreau qui nous permet de rester reliés aux autres.

Dans mon expérience, je constate que dans des moments de souffrance, j’ai l’impression que seule ma souffrance existe, qu’elle est la pire et, si j’entends que quelqu’un d’autre souffre près de moi, j’y suis quasi indifférente. Comme dans une bulle, concentrée sur mon point douloureux.

Mais très vite cette coupure devient elle-même une souffrance car c’est ma/notre ressource de sentir, d’éprouver ce que l’autre ressent, d’être ensemble dans notre fragile humanité.

La méditation est salvatrice car c’est cette pratique qui met en lumière la coupure et la souffrance de la coupure. C’est sur ce carré de toile que je peux me pencher vers la douleur, comme une mère vers son enfant. Ne plus en avoir peur, ni de la mienne, ni de celle des autres. Rester ouverte à ce qui est, tel que c’est, pas plus, pas moins. Dans ces temps où chacun d’entre nous, ou les proches de chacun d’entre nous, ou les amis de chacun d’entre nous, vivons ou allons vivre des moments difficiles, la méditation aide très concrètement à se ressourcer dans l’or chaud de la confiance et à laisser le cœur à sa vraie nature, l’ouverture.

Marine Manouvrier

Bruxelles


[1] Merci à Camus : « au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ».

4 commentaires
  1. Anne Dumonteil dit :

    Merci Marine de savoir trouver les mots justes pour nommer ce qui nous traverse en ce moment.

    Je t’embrasse avec toute la chaleur,

    Anne

    Répondre

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